Interview « Libérons la nature » : Les rêves aventureux et sous-marins de Pierre Corbrion

1 – Vous connaissez bien la Rance. Quelles menaces rencontrent ses fonds ?
Oui, je connais bien la Rance, cela fait maintenant plusieurs années que j’en explore les fonds.
 Contrairement à cette idée répandue, je ne considère pas l’envasement comme une menace majeure pour la biodiversité locale. Bien sûr, il peut poser problème pour certaines activités humaines, notamment au niveau du Lyvet, mais les vasières sont de véritables refuges pour la biodiversité, abritant prés-salés, herbiers de zostères et une faune fouisseuse abondante.  Les véritables problématiques sont plus discrètes et un peu les mêmes que partout… Modifications du milieu (écluses, détournement de la Rance pour alimenter Rennes, artificialisation des berges), la surfréquentation humaine et de nos animaux de compagnie (piétinement, effarouchement, etc.), les pollutions (engrais, métaux lourds, mais aussi lumineuse, sonore), les espèces exotiques envahissantes. On s’inquiète aussi de l’augmentation des niveaux hauts en Rance, susceptibles de redistribuer la répartition verticale des espèces de l’estran (avec un impact possiblement notable sur les prés-salés et notamment une espèce protégée de Lavande de mer qui vit à la frontière entre milieu terrestre et plus hauts niveaux de la Rance). Sans oublier, malheureusement, l’épée de Damoclès que sont les changements climatiques et toutes les conséquences qui en découlent…

2 – Quels animaux photographiez-vous ?
Sous l’anodine surface de la Rance, chaque immersion est une nouvelle aventure au sein de laquelle nous ne savons jamais sur quoi on va tomber ! Je ne me donne aucune limite quant à la diversité des formes de vie que je m’autorise à photographier ! Après, évidemment, il y a certaines espèces qui captivent plus que d’autres. Je pense notamment aux limaces de mer, avec leurs couleurs toutes plus chatoyantes les unes que les autres et le fait qu’elles soient souvent associées à une proie bien précise, ce qui peut donner lieu à des jeux de piste sous-marin à leur recherche tout ce qu’il y a de plus exaltants ! En plongée, on passe d’ailleurs pas mal de temps à scruter le moindre recoin, le moindre tas de sable suspect à la recherche de LA rencontre de la plongée… Parfois un Saint-Pierre, ou une raie, une squille mante… On ne sait jamais sur quoi on va tomber, une scène extraordinaire ? Une espèce rarissime ? Une composition photographique d’exception ? C’est ce qui nous pousse toujours à y retourner, car, même après des centaines de plongées, on peut et on découvre toujours de nouvelles choses. L’émerveillement ne s’épuise jamais, chaque plongée nous offrant toujours une nouvelle facette de ce monde caché.

3 – Les petits crabes verts, par exemple, semblent de moins en moins nombreux depuis déjà quelques années, le poisson se fait  plus rare en Rance. La biodiversité marine est-elle véritablement en danger face aux activités humaines et au réchauffement climatique ?
Alors ce sont là des questions qui ne sont pas toujours simples à aborder. Avant d’affirmer un déclin des populations de crabes verts ou de poissons en Rance, il est essentiel de vérifier que ces phénomènes soient bien réels et étayés par des données robustes. À ma connaissance, nous n’avons pas de données permettant d’avancer que les populations de crabes verts seraient en diminution. Concernant les populations de poissons, des données récentes portant sur les populations de larves de poissons laisseraient penser que ces dernières pourraient en effet être en mauvais état, mais ce sont des données issues d’une seule campagne d’échantillonnage et lors de laquelle des résultats similaires avaient également été observés sur d’autres sites hors de l’estuaire, donc informations à prendre avec des pincettes. Il faudrait poursuivre la collecte de ces données sur plusieurs années pour avoir des résultats plus informatifs (Ce serait génial que ce soit fait, mais le milieu de la recherche est actuellement difficile et n’est fait que ce qui peut être financé…). Je n’ai pas connaissance de données récentes vis-à-vis des populations de poissons adultes de l’estuaire, donc je vais rester prudent. Malheureusement, les constatations des usagers et le bouche-à-oreille, bien que pertinents pour orienter les travaux de recherche et soulever des points de vigilance, ne sont que peu informatifs pour se faire une véritable idée de l’état de nos écosystèmes.

Un exemple parlant sur le sujet est que si on écoute les usagers de la Rance, suite au Barrage, les prés-salés se seraient développés… mais quand on étudie leur surface au travers d’une méthode fiable, on se rend compte qu’elle a en réalité diminué.
L’étude de l’environnement est une science très complexe, car tout est interconnecté et il est donc très

difficile de trouver les causes à ce que l’on observe… Et il est donc d’autant plus important de s’assurer que l’on observe bien le phénomène que l’on veut étudier.
Au delà de cela, malheureusement, oui la biodiversité marine est belle et bien en danger face aux activités humaines, dont les changements climatiques sont l’une des conséquences.

4 – Et que faire pour y remédier ?
Il n’y a pas de solution unique, car chaque problème nécessite une approche spécifique, allant de gestes individuels à des changements systémiques.

Par exemple, pour les espèces non indigènes, on ne peut plus rien faire pour les espèces déjà présentes (surtout en milieu aquatique), mais on peut prendre des mesures pour limiter l’introduction de nouvelles : laver ses chaussures/bottes après un voyage (ou excursion sur un site où elles sont présentes), favoriser les espèces locales pour les espaces verts et jardins. Préserver les ressources en consommant moins d’eau ou d’électricité, adopter des moyens de transports à production de CO2 faible (pas toujours facile quand on veut prendre en compte la production sur le cycle de vie total de ce dernier et par utilisateur). Limiter les usages d’intrants à une stricte nécessité. Limiter l’accès de nos animaux de compagnie aux sites fréquentés par des espèces sauvages. Favoriser les continuités écologiques, faire de nos jardins des espaces d’accueil de la biodiversité (parfois, une simple bande enherbée peut déjà faire beaucoup). Pour les pêcheurs, être raisonné dans ses captures et se limiter à une consommation personnelle et instantanée.

Il y a tant d’aspect qu’il serait possible d’aborder que je vais m’arrêter là pour l’instant mais, globalement, pour chacune de nos actions, toujours se dire que nous ne sommes qu’une personne parmi plusieurs milliards et que ce que l’on s’autorise à faire, on doit pouvoir l’autoriser à autrui… Et donc se demander ce que cela donnerait si tout le monde agissait comme nous, si ce serait souhaitable. Si la réponse est non, peut-être envisager de revoir nos habitudes.

5 – Partagez-nous l’une de vos plus belles rencontres sous-marines…
Oh, il y en aurait beaucoup ! Mais je vais me contenter d’une qui s’est déroulée cette année et qui m’a particulièrement marquée. C’était lors d’une plongée sur un site que je garde confidentiel, car soumis à autorisation, mais situé au cœur de Saint-Malo.

À la faveur de la nuit, nous nous sommes silencieusement glissés sous les eaux calmes de la baie, nous transportant ainsi dans un autre monde, silencieux et fourmillant de vie. Accueillis par une forêt de sargasses de plusieurs mètres de long, que nous avons précautionneusement franchis, après avoir survolé les vastes herbiers de zostères marines, ondoyant sous le courant et au sein duquel nous avons pu observer quelques hippocampes, cramponnés aux feuilles d’un vert éclatant, nous sommes arrivés sur une douce pente sablonneuse. Nous étions plein d’espoir, car cette pente abrite régulièrement l’un des plus beaux poissons de nos eaux… Après l’avoir arpentée pendant quelques minutes, une forme s’est découpée dans le lointain. Prudent, car cela pouvait toujours être une algue à la forme inhabituelle, nous nous sommes discrètement glissés vers cette dernière… C’est alors que s’est déployé devant nos yeux pétillants de bonheur la silhouette si caractéristique du Saint-Pierre, qui y flottait, comme en apesanteur. Aussi magique que soit cette rencontre, ce n’est nullement le paroxysme de cette plongée, oh que non !

Après quelques photos, nous avons poursuivi notre chemin vers notre destination, située au-delà de la pente sablonneuse. Alors que les premières roches issues de l’immense champ de bloc commençaient à se dessiner face à nous, le sable laissait petit à petit place à des cailloutis, sur lesquels se développent de petits algues brunes dressées, auxquelles s’accrochent fréquemment les hippocampes, que nous avons donc vainement recherchés avant de nous aventurer au dessus des blocs.

Nous survolions un véritable festival de formes et de couleurs, entre les algues aux tons rougeoyants, les éponges aux formes et couleurs exotiques, passant par le rouge, le bleu, le rose, l’orange et formant arches, tours et colonnes et les anémones et vers tubicoles aux nuances de bleu, vert et rouge, déployées telles de gigantesques fleurs des profondeurs.

Et c’est alors que mon binôme a brisé le silence et la sérénité du moment avec des cris nasaux (oui, on fait parfois ce genre de choses !) pleins d’enthousiasme ! Attirant promptement mon attention vers une créature sortie tout droit de mes rêves les plus fous ! Avec ses hypnotisants yeux à trois pupilles, sa vision à 360° et ses pattes ravisseuses à faire rougir une mante religieuse, elle était là, sous nos yeux ébahis à nonchalamment arpenter cette étendue escarpée, inconsciente de l’émoi qu’elle nous inspirait ! Il s’agissait là d’une Squille de Desmarest, un crustacé que seule une poignée de plongeurs a eu l’occasion d’observer vivante… Cette dernière vit dans des galeries, où elle disparaît au moindre mouvement suspect et se terre pour attendre patiemment la venue d’une proie sur laquelle se déployer en une fraction de seconde. En observer une de la sorte demande une chance inouïe ! Seul le mâle sort de sa galerie, à la faveur de la nuit et lors de la période de reproduction. Il faut donc être sur un site où elles sont présentes, au bon moment de l’année et de nuit !

Nous avons pu profiter de sa présence irréelle pendant de longues minutes avant de la laisser vaquer à ses occupations, la quittant les yeux pleins d’étoiles ! Probablement l’une de mes plus belles plongées !

Petits et grands pourront y découvrir la biodiversité de ce parc situé dans le quartier de la Découverte, et participer à un grand inventaire participatif sur la nature qui l’habite.

Et en plus…

Pierre Corbrion, guide naturaliste et conférencier, photographie le peuple de la Rance : poissons, anémones, hippocampes ou encore crevettes, c’est une balade passionnante et foisonnante à laquelle nous convie le jeune photographe. Ses clichés nous rappellent la fragilité de l’écosystème marin et son incroyable richesse.

Il participera à la seconde édition de Libérons la nature ! (17 > 27 avril 2025)

Petits et grands pourront y découvrir la biodiversité de ce parc situé dans le quartier de la Découverte, et participer à un grand inventaire participatif sur la nature qui l’habite.

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